Voltaire et la religion

«Si Dieu n’existait pas, il faudrait l’inventer»

Au XVIIIe comme au XIXe siècle se généralise auprès du public le mythe de Voltaire en libre penseur, mécréant sinon athée, qui sape les fondements moraux et religieux de la société. Même à la fin du XIXe siècle, un article intitulé «Voltaire comme chef et type de la mécréance française» caractérise le penseur de Ferney en ces termes :

Voltaire fut vraiment le grand partisan et le propagateur du rationalisme dans l’Europe moderne. Il fut le malin génie du siècle passé, auquel il imposa le sceau de son esprit, tout en en incarnant personnellement la totalité des vices et des défauts, sous le poids desquels périrent de bonnes entreprises qui ne lui étaient pas étrangères.

Etant absolument le fils de son siècle, Voltaire est né et a grandi dans un milieu qui, dès les premiers instants où sa conscience s’est éveillée, avait empoisonné son âme du poison de la légèreté, du scepticisme et de l’immoralité.

Traité des trois imposteurs. Yverdon, 1768. Page de titre.
Traité des trois imposteurs. Yverdon, 1768. Page de titre.
Cette analyse relève d’un pur mythe. S’il militait contre le fanatisme religieux, Voltaire était loin d’être athée. Ce n’est pas un hasard si l’une de ses déclarations préférées était sa maxime : «Si Dieu n’existait pas, il faudrait l’inventer». Voltaire fait paraître pour la première fois cette formule dans L’Épître à l’auteur du livre des Trois imposteurs (1769). Des Trois imposteurs est un traité athée anonyme du XVIIIe siècle, dénonçant les «trois trompeurs», les fondateurs des religions monothéistes, Moïse, Jésus-Christ et Mahomet. Au sein de la bibliothèque de Voltaire est conservée une édition de ce livre, annotée de la main de Voltaire, «livre dangereux» (BV 2–63). Voltaire a envoyé des copies de cette Épître à de nombreuses personnes. Dans sa correspondance, en parlant de ce poème, Voltaire souligne qu’il lutte à la fois contre la superstition et contre l’athéisme. Dans une lettre à sa nièce, Mme Denis, du 12 mars 1769, l’ermite de Ferney écrit: «Je me suis amusé ce matin à faire une epitre contre le livre des trois imposteurs. Je viens de la finir. Je vous l’enverrai. Je croix l’atheisme aussi pernicieux que la superstition».

Dans une lettre à la marquise du Deffant du 15 mars 1769 (à qui il avait envoyé une copie de l’Epitre), le penseur ferneysien note: «Voici un petit ouvrage contre l’athéisme dont une partie est édifiante, l’autre est un peu badine». En 1773, Voltaire répète cet aphorisme en soulignant la nécessité de l’existence de Dieu et de la foi dans le «Discours du maître Belleguier» (1773).

Les principes fondamentaux sont ainsi formulées dans le « Discours » : « L’astronome qui voit le cours des astres établi selon les lois de la plus profonde mathématique, doit adorer l’éternel Géomètre. Le physicien, qui observe un grain du blé ou le corps d’un animal doit reconnaître l’éternel Artisan. L’homme moral, qui cherche un point d’appui à la vertu, doit admettre un Etre aussi juste que suprême. Ainsi Dieu est nécessaire au monde dans tous les sens, et l’on peut dire avec l’auteur de l’Epître au grifonneur du plat livre des Trois Imposteurs: "Si Dieu n’existait pas il faudrait l’inventer"».

Le Vrai sens du système de la nature. Ouvrage posthume de M. Helvétius. Londres [La Haye], 1774. Page de titre.
Le Vrai sens du système de la nature. Ouvrage posthume de M. Helvétius. Londres [La Haye], 1774. Page de titre.
L'aphorisme préféré sur une feuille de papier reliée avant la page de titre du traité athée anonyme Le Vrai sens du Système de la nature «Si Dieu n’existait pas, il faudrait l’inventer».
L'aphorisme préféré sur une feuille de papier reliée avant la page de titre du traité athée anonyme Le Vrai sens du Système de la nature «Si Dieu n’existait pas, il faudrait l’inventer».
En 1774, Voltaire écrit une dernière fois son aphorisme préféré sur une feuille de papier reliée avant la page de titre du traité athée anonyme Le Vrai sens du système de la nature (ce traité fut publié sous le nom d’Helvétius). Ce livre est conservé dans la bibliothèque de Voltaire (BV 2–42)